Victor Hugo fut un dessinateur prolifique et talentueux auquel on doit autour de 4 000 dessins, conservés pour la plupart à la Bibliothèque Nationale de France ainsi qu’à la Maison Victor Hugo à Paris. Cette production graphique n’était pas sans importance aux yeux de l’écrivain : « je suis tout heureux et très fier de ce que vous voulez bien penser des choses que j’appelle mes dessins à la plume », écrit-il à Charles Baudelaire en 1860. Parmi ce corpus, les paysages tiennent une place importante, qu’il s’agisse des lieux visités par Hugo au cours de ses voyages, et qu’il dessine in situ ou de mémoire, ou bien de paysages imaginaires. Souvent inspirés d’un Moyen-Age idéalisé sur le mode de la vision tragique, ces derniers représentent des villes fortifiées, des « burgs » ou des ruines dont les silhouettes inquiétantes se découpent dans des atmosphères fantomatiques. Le Château de Corbus en fait partie, et a ceci d’exceptionnel qu’il trouve son pendant littéraire dans La Légende des siècles :

 

« [...] Le pâtre a peur, et croit que cette tour le suit ;
Les superstitions ont fait Corbus terrible ;
On dit que l'Archer Noir a pris ce burg pour cible,
Et que sa cave est l'antre où dort le Grand Dormant ;
Car les gens des hameaux tremblent facilement ;
Les légendes toujours mêlent quelque fantôme
À l'obscure vapeur qui sort des toits de chaume,
L'âtre enfante le rêve, et l'on voit ondoyer
L'effroi dans la fumée errante du foyer. [...] » (« Eviradnus », 1859)

 

Hugo ne vendit aucun dessin de son vivant, mais en offrait quelques fois à ses amis, à ses maîtresses et aux artistes qu’il admirait. Auguste Vacquerie (1819-1895), l’homme de lettres et journaliste à qui Le Château de Corbus a été offert, entretint quant à lui des liens particulièrement étroits avec l’écrivain et sa famille – son frère épousa Léopoldine Hugo. L’acquisition de cette œuvre par les Beaux-Arts de Paris est essentielle pour son fonds de dessins et l’avenir de sa collection. Cette dernière est riche d’un bel ensemble de dessins romantiques de Delacroix, Géricault, Chassériau, Isabey… Avec son château crénelé émergeant de l’ombre à la faveur d’un « clair-obscur électrique » (Pierre Georgel), Le Château de Corbus vient parfaitement compléter l’imaginaire des peintres de cette époque.

Autodidacte, Hugo dessine à la plume et encre mais « finit par y mêler du crayon, du fusain, de la sépia, du charbon, de la suie et toutes sortes de mixtures bizarres qui arrivent à rendre à peu près ce [qu’il a] dans l’œil et surtout dans l’esprit », incarnant ainsi une démarche éminemment indépendante. Théophile Gautier en souligne dès 1863 la singularité, évoquant « la transformation d'une tache d'encre ou de café sur une enveloppe de lettre, sur le premier bout de papier venu, en paysage, en château, en marine d'une originalité étrange, où, du choc des rayons et des ombres, naissait un effet inattendu, saisissant, mystérieux ». Cette approche expérimentale et spirituelle trouve son écho dans les travaux de certains artistes des XXème et XXIème siècles.